Voyage intérieur

Tching KAO-KANEHISA est profondément attachée aux trois sources de sa culture : celles de Taïwan, de la France, et du Japon. Chacune des cultures qu’elle a rencontrées, traversées, a représenté un choc qui l’aidait à s’abstraire de sa culture d’origine -chinoise- pour mieux la faire vivre à neuf : l’observer de loin, l’appréhender avec un regard autre – et puis, renaître, à la fois en elle et hors d’elle.

Ainsi sa réflexion incessante la pousse à constituer et développer un langage bien à elle. Tantôt elle décortique patiemment ce qu’elle a vu, vécu, senti pour créer son monde métaphorique, tantôt elle appréhende l’instant – cet instant observé, médité, qui pourrait durer des jours –, puis soudain le fixe sur un papier ou une toile, à traits minimalistes, immédiats, comme dans le geste calligraphique. Au bout de la recherche, elle crée cet univers, ni réel ni pourtant irréel, qu’elle tente sans cesse de rendre poétique et lisible.

Depuis toujours, la prédilection de Tching Kao-Kanehisa a été au collage. Quand bien même elle peint et dessine, elle n’hésite pas à allier les éléments les plus contradictoires : l’objet concret et l’imaginaire, le trait classique et le jeté sans loi, le croquis mêlé à l’huile, à l’acrylique… Et quand elle achève son travail, il lui reste encore à débusquer le nom juste, celui qui donnera à son œuvre ce qu’on pourrait appeler une âme. Qui dit âme dit aussi que ce n’est pas un dictat adressé au spectateur : libre à lui d’imposer ses errances et de regarder autrement.

Ainsi, Tching Kao-Kanehisa voyage toujours. C’est ce voyage qui la rend sereine et la tient dans une bonne humeur contagieuse : se cherchant, elle veut se surprendre et surprend aussi les autres. Elle nous invite à la suivre au sein de son univers intérieur dans un joyeux « to be or not to be » qui vagabonde du cosmos aux minuscules composantes de notre corps, de nos émotions à la méditation, des questions troublantes aux réponses introuvables…

Tching KAO-KANEHISA est née en 1947 à Linsen dans le Fujian et a grandi à Taïwan. En 1968, elle vient à Paris poursuivre ses études de littérature et, retenue par cette culture nouvelle et son foisonnement artistique, s’installe en France. Ses études achevées, diplômée de l’Esam de Paris en arts graphiques et docteur en sémiologie, elle entreprend une double carrière. Professeur, elle est maître de conférence à l’Université Paris VII et, pendant 30 ans, enseigne la langue et la civilisation chinoises, en même temps elle se spécialise dans les recherches sur des arts graphiques et de la culture publicitaire en France, au Japon, à Taïwan et en Chine, organisant entre ces pays une circulation des savoirs, des publications et des conférences. Parallèlement, Tching Kao-Kanehisa poursuit une carrière de plasticienne, jalonnant son parcours d’expositions collectives et individuelles. Son travail est primé en 1971 au Palmarès des 10 meilleurs maquettes d’affiches (sur 800) sélectionnées par la Prévention routière en France. Puis elle reçoit le Prix spécial du jury pour ses collages au salon des Arts Appliqués de Maison Lafitte en 1991 ; elle participe à l’exposition de la Biennale des femmes Peintres et Sculpteurs au Grand Palais en 1992. Entre autres expositions, «Impermanence du Signe », sa dernière rétrospective à la Galerie-Librairie Impressions de Paris, présente en 2018 les aspects les plus récents de son œuvre : de la tradition chinoise du trait au geste patient de l’huile, Tching Kao-Kanehisa y poursuit, comme toujours, son exploration des cultures plurielles.