Vertige – Erwan Morère
- Du 17/05/2017 au 17/06/2017
- Localisation : Galerie Les filles du calvaire
- Organisateur : Galerie Les filles du calvaire
Le monde d’Erwan Morère tourne rond et rend doucement fou. Comme la terre n’est pas cette ligne, ni cet horizon plat comme on l’a longtemps fantasmée, pas plus qu’elle n’est le centre de l’univers, il faut remettre les humains à leur bonne place, perdus qu’ils sont dans l’impensable et inintelligible chaos. Accepter qu’il n’y a pas de sens, pas plus qu’une origine. Voilà pourquoi sans doute, les images d’Erwan Morère offrent un basculement du regard, vers les abysses autant que vers le ciel. Regardez cet enfant, dans une piscine qui fait la planche sur le dos, il semble tomber en arrêt devant des questions métaphysiques qui le dépasse. Il scrute le ciel, si loin, si haut. Et tout son corps est comme interloqué et saisi par l’énigme.
Ainsi sonnent les mises au point d’Erwan Morère, elles invitent au vertige. Du latin versare tourner. Vers le bas, puis vers le haut. Alors, le photographe plonge. Nage longtemps, déambule sous l’eau, avant d’avoir trop froid, et remonter à la surface, une fois saisis des hommes abandonnés à une nouvelle pesanteur. Dans son monde, les hommes ne marchent que très peu à la verticale et sur le sol. D’ailleurs, si l’on est attentif à ses différentes séries, on assiste souvent à la disparition du sujet. En effet, ses sujets ne sont jamais entiers, mais gommés ou esquissés. Des fils, des points, suspendus entre ciel et terre. Comme autant de silhouettes qui se seraient glissées derrière des rideaux que sont brume ou fumée, filtres qui obstruent la réalité et permettent l’apparition des fantômes en plein rêve éveillé. Erwan ouvre l’œil sur la matière onirique du monde. Cette matière, on sent qu’il ferait tout pour la rendre au plus fort et au plus dense sur le papier, comme pour déposer le ciel pommelé et cotonneux sur le tirage. Ce serait alors une preuve tangible que le réel qui nous entoure et nous enveloppe ne nous échappe pas. A cet égard, sans doute serait-il erroné de placer Erwan du côté de ces photographes contemplatifs fascinés par le caractère formellement beau de la nature.
Ses paysages ; crêtes montagneuses, rivages mordus par la mer, ciels orageux ou duveteux, nuée d’oiseaux, bancs de poissons, dunes de sables brossées par le vent, ne sont pas une injonction à voir ce à côté de quoi nous aurions pu passer. Ils sont plus volontiers des preuves de leur puissante matérialité. Le médium photographique n’est pas ici un passeur de sublime mais un réceptacle à la masse du monde.
Les noirs absolus d’Erwan Morère pèsent sur le papier, comme un arbre qui ploie vers le sol. S’il pouvait rajouter encore de la densité, par le biais de la peinture comme le fait Soulage, il le ferait. Mais il ne le fait pas et c’est heureux. Car c’est toute la tension et la magie de l’exercice photographique argentique en noir et blanc qui consiste à trouver toujours plus de sensualité dans le tirage, de développer ses films dans son laboratoire, de mettre au point une technique de jet d’encre pigmentaire pour arriver à un noir profond et pictural. On a souvent parlé de dessins photographiques à propos de ses compositions tant l’illusion de l’utilisation du fusain rode. Mais ici ni fusain, ni mine graphite. Le noir de plomb est bien celui d’un jeu de bascule de la lumière d’un regard qui se tourne vers le soleil ou vers les ténèbres.
Léa Chauvel-Lévy