Printemps du dessin 2023 "Être une fleur" II

Printemps du dessin 2023 “Être une fleur” II

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“Être une fleur” II

A la médiathèque de l’hôpital Pompidou
du 9 mai au 9 juin 2023

Dans le cadre du Printemps du dessin et avec un financement du Centre-Inter-Médiathèques/CFDC/APHP et le soutien de la DRAC Ile de France

Médiation culturelle:
Le 10 mai à 15 h et le 31 mai à 15h à la médiathèque de l’hôpital Pompidou, 20 rue Leblanc 75015

Sur l’affiche: “No 12 “Sandrine Navarro II. Pericallis cruenta”

Aquarelle sur papier, 50×65 cm, Paris 2020

Texte d’exposition par Ene Jakobi:

Lorsque je demande à une artiste d’incarner une fleur pour mon exposition, alors là bien évidemment, des explications s’imposent…

Déjà il y avait longtemps que j’avais compris que cela ne sert à rien d’attirer l’attention du public avec quelque chose de sanglant, effrayant ou horrible. J’ai donc l’habitude de cacher mes messages de plasticienne au sein de mes oeuvres bien jolies, bien belles. Mais méfiez-vous des apparences! Pour cette exposition j’ai choisi de présenter de belles illustrations botaniques et des dessins réalisés pendant le confinement à Paris en 2020 et 2021. Comme vous pouvez le découvrir dans les titres, certains de ces dessins portent le nom d’une artiste: la compositrice estonienne Elo Masing, l’artiste franco-américaine Velvet d’Amour, la peintre estonienne Kaie Kal, la chorégraphe Odile Gheysens, l’artiste plasticienne Dagmar Kase, la professeure de tango Sandrine Navarro, la réalisatrice des films d’animation Marili Sokk, la photographe Flavia Raddavero, la poétesse Ophélie Camélia , journaliste Fanny Cohen Moreau etc. Elles ont toutes un travail créatif et elles ont choisi “d’être une fleur “parmi mes dessins. Le recto de mon dessin présente donc une personne (qui a un travail créatif) à travers une image de fleur. On offre souvent des fleurs aux artistes: pour une première, pour un vernissage, pour la représentation d’un livre, un film…
Mais ce n’est pas tout.

Pour le verso de mêmes dessins j’ai demandé à chacune de ces personnes d’écrire une phrase la plus horrible, la plus injuste, la plus déplacée qu’elles n’aient jamais entendu sur leur travail. Et vous savez, quand on prononce ces phrases en connaissant le travail remarquable de ces personnes, ces phrases deviennent alors drôles ou ridicules et perdent tout leur pouvoir de blesser l’artiste en question. Mon idée de départ était donc de laisser ces phrases en secret, de les enfermer d’une façon sûre et définitive derrière le dessin, cachée sous le cadre. Pour ôter la blessure d’une certaine façon. À ma grande surprise il y avait aussi des artistes qui ont demandé de rendre ces phrases publiques en les intégrant au titre, à côté de leur nom. J’ai répondu positivement à leur demande, car ces phrases irrespectueuses et injustes pourraient bien consoler d’autres artistes après nous.

Bien sûr, en aucun cas, je ne suis contre la critique. Le critique doit nous rendre meilleur, mais être fondée. Aujourd’hui, à l’ére d’internet, j’ai malheureusement l’impression que beaucoup perdent leur sens critique en le remplaçant par les insultes anonymes. La compositrice Elo Masing a par exemple choisi pour cette occasion de mettre en lumière un commentaire désobligeant sur Youtube, alors que Velvet d’Amour a souligné son point de vue “artiste- toujours gagnante” : “Si les gens passent du temps pour commenter mes affaires sur l’internet, alors je trouve que j’ai déjà gagné car ces personnes prennent du temps pour attirer l’attention sur moi”.

Dans notre société, on met souvent le travail des artistes en question. On se demande si ils veulent vraiment être payés pour leur travail ou leur prestation. Et nous, les artistes? Pourquoi on ne demande jamais à notre banquier, dentiste ou boulanger avec une voix grave et arrogante :” Savez-vous faire le grand écart? Savez vous quand même jouer au moins quelques suites de Bach? Vous avez déjà présenté un film à Cannes? Vous savez dessiner un cheval? Vous voulez de l’argent pour ça? Est-ce que vous travaillez bourré? C’est quoi votre vrai boulot?” L’Institut National de l’Histoire de l’Art (INHA) a réalisé pour ses vingt ans une série de conversations sur le thème “‘A quoi sert l’histoire de l’art aujourd’hui?” . Souvent j’entends des gens qui demandent :”Qui a besoin d’art?”. L’art est actuellement la seule chose que l’humain a inventé pour nous rendre immortels. Pour cette série, j’ai dessiné des plantes vivantes, tout d’abord par souci d’écologie. Malheureusement beaucoup de ces fleurs n’ont survécu ni à la canicule ni à mes piètres connaissances en jardinage. Sur mes dessins elles sont immortelles, comme les artistes représentées.
……

“Être une fleur”, dessins Ene Jakobi, texte Camille Sauer

Tandis que les natures mortes du XVII/XVIIIème siècle mettaient en lumière les relations complexes qu’entretenaient l’individu avec la vie et la mort, le projet d’œuvre de l’artiste Ene Jakobi intitulé “Être une fleur”, témoigne d’une lutte de la vie avec la vie elle-même.

En partant d’une discipline interdite dans les années 90 au sein des Beaux-arts, Ene va s’adonner à l’illustration botanique afin de transgresser les règles d’un naturalisme attaché à la vérité scientifique.

De cet interdit, Ene va se saisir des plantes afin d’y exprimer des états d’âmes. C’est ainsi qu’elle va dessiner aux crayons de couleurs, des végétaux avec une très grande minutie. Il ne s’agit pas seulement d’être fidèle à la réalité, il s’agit de capter la relation complexe qui la lie à cette plante.

Aussi, rien de plus évident pour elle que de croiser la vie d’une plante avec celle d’un artiste. En faisant un parallèle avec le statut d’artiste, le profil chimique d’une plante est souvent unique. Les comportements des plantes sont définis comme des réponses morphologiques et physiologiques rapides aux événements, dans le cadre du temps de vie d’un individu. Les plantes s’adaptent aussi par beaucoup de traits défensifs en réponse à l’hétérogénéité de l’environnement dans l’espace et dans le temps.

C’est ainsi qu’Ene dessine des plantes sur le vif et sans jamais porter atteinte à leur environnement naturel. Bien que vivantes, les plantes semblent exister dans un entre-deux. Une sorte d’état de veille entre le sommeil et le plein état de conscience. Puis se mêle à la fragilité et l’état mouvant de la plante, la souffrance de l’artiste: Quelle a été ta principale souffrance? demande Ene à l’artiste.

De sa confession, l’artiste choisira une plante. Ene retranscrira de son côté les propos de l’artiste au dos de la toile sélectionnée par l’artiste. Chaque toile portera ainsi le nom de l’artiste interrogé: Kaie Kal, Elo Masing, Odile Gheysens, Fanny Cohen Moreau… Comme si la plante avait un pouvoir de guérison. De la souffrance, la plante, tel un remède, en fera ressortir une forme de pulsion de vie.

Quand une plante est en état de stress, endommagée ou menacée, son profil volatil change. C’est ainsi qu’Éné par le biais de sa série d’œuvres, nous pousse à imaginer les plantes non seulement comme des individus, mais comme des individus co-évoluant continuellement avec et dans des relations environnementales changeantes qui elles-mêmes sont en train d’évoluer de manières complexes. Et si l’artiste avait cette capacité à se métamorphoser, à s’adapter? Et si l’artiste avait plus de ressources qu’un individu ordinaire?

Les plantes ne sont en aucune façon des êtres isolés dans une externalité qui serait configurée comme externe ou étrangère. Ces observations qui nous poussent à reconnaître la possibilité que les plantes soient des singularités complexes, nous conduisent également à nous interroger sur le statut de l’artiste au sein de son écosystème. Un écosystème redoutable et parfois redouté par l’artiste lui-même.

L’œuvre d’Ene, c’est une promesse à la vie, une promesse à soi et la volonté de se réparer et de se libérer de ses vieux démons par le pouvoir des plantes. Tantôt fragiles, tantôt toxiques, les plantes nous confrontent à une certaine image du sublime. Un sublime contemporain tel que repris par l’historien Nicolas Bourriaud et qui définit la beauté naturelle comme un état qui nous déstabilise et qui dérègle nos facultés perceptives. Une nature bien vivante mais menaçante donc. Menaçante pour qui? La nature à la fois humaine et artistique nous le dira.”

….

ITW pour Canoline Critiks :

“Cette série est une recherche sur la vie d’artiste et ses tourments. Une réflexion sur le harcèlement dans le cadre de son travail, sous les sphères du sensible.

Lys, marguerites, violettes et autres muguets sont peints à l’aquarelle et dessinés au crayon sur papier selon la plus grande rigueur académique. Originaire de Tallinn en Estonie, Ene Jakobi a étudié aux Beaux-Arts. Elle témoigne ici de sa parfaite maîtrise du geste qu’elle utilise dans une intention contemporaine. Avec un certain sarcasme, elle vient chahuter la douce harmonie apparente de ses dessins botaniques.

A la recherche d’une perception spontanée, d’une émotion brute, l’artiste fait basculer le réel avec une double lecture en proposant des commentaires à contre-courant pour illustrer ses œuvres. Pour ce faire, quelques artistes de son entourage ont été sollicités pour rédiger un ressenti, une phrase des plus injustes face à son travail. Sincères, parfois violents, ces ricochets verbaux restent secrets, apposés derrière le dessin.

« Ils deviennent drôles, presque thérapeutiques lorsqu’on les découvre » affirme la plasticienne.

” Et tu veux du fric pour ça ? “, ” Est-ce que tu peins quand tu es bourrée ? “, “A quoi sert ce que vous faites ? “, ” Tu as dû probablement rencontrer beaucoup d’hommes pas bien dans ta vie “, ” Tu n’es pas assez connue pour être payée autant… ” Toutes ces réactions à brûle-pourpoint que l’on découvre en contraste, s’inscrivent vacillantes et mouvantes dans l’espace mental de notre lecture. Ce décalage narratif brutal s’illustre comme une vue de l’esprit qui déconstruit et remet en cause le cheminement personnel de l’artiste.

« La personne qui possèdera une œuvre de cette série ne possèdera pas simplement un joli dessin botanique mais le chagrin d’un artiste » explique Ene Jakobi.

Cette cruauté amusée que s’inflige l’artiste montre également une tentative d’évasion, une fuite, une élévation individuelle ; une ouverture de perspectives en retrait sur son travail.
D’autre part, Ene témoigne d’une passion pour le Moyen Age qu’elle transmet aux plus jeunes. Sous forme de médiation culturelle, elle a récemment dessiné dix planches à colorier d’après une tapisserie médiévale tissée à Enghien.

« Ces plantes sont mortes depuis plus de 500 ans, mais elles continuent à vivre sur le papier. C’est une façon simple et directe de montrer comment l’art peut rendre une plante immortelle » poursuit-elle.

L’artiste fait revivre à sa manière une forme vivante du merveilleux qui n’est plus. À la lisière du domestique et de l’inconnu, cette nature originelle à la perfection formelle, se détourne du figuratif académique pour une nouvelle dimension à la fois conceptuelle et poétique.

Le naturalisme revisité d’Ene Jakobi nous invite à franchir un seuil où les potentialités de questionnement et de convictions se confrontent sous un audacieux vertige, très actuel.

https://canolinecritiks.blogspot.com/2023/01/ene-jakobi-fleur-de-peau-et-de-peines.html

Ene Jakobi, « Être une fleur II » : une exposition en mai à l’hôpital Pompidou

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