Paz Corona, Fixion
- Du 12/05/2023 au 17/06/2023
- Localisation : Galerie Les filles du calvaire
- Organisateur : Galerie Les filles du calvaire
Ce printemps, l’artiste franco-chilienne Paz Corona présentera à la galerie Les filles du calvaire un ensemble de toiles peintes à partir de novembre 2021.
La peinture de Corona s’origine dans son histoire ; dans l’acte de peindre se mêlent toujours une histoire qu’elle ne sait pas et une technique qu’elle élabore en cours de route.
Dans l’après–coup se déploient et se font écho les signifiants des matières, des couleurs, des procédés et techniques employés et du titre qui surgit. On observe dans cet ensemble, se répondant dans les toiles, ses amarres flottantes, ses personnages en bascule, la douceur des étoffes vibrantes de fleurs, le chatoiement sensuel des couleurs, la poésie déployée pour tenir à distance le réel déchainé.
Toutes les toiles renvoient à un ailleurs radical ; les personnages viennent de loin, ont traversé des frontières, se racontent des histoires, solitaires ou à deux pour apprivoiser le monde. Sauvés par un détail : la touche jaune Proustienne de « il arrive que », le souvenir de nymphéas de « hommage à Claude Monet », le rose de la chaussure de « Al Sur ».
Quand elle peint, Corona est dans un dialogue muet avec elle-même et s’interroge sur cette question : « comment l’architecture et les couleurs du tableau font qu’un corps tient dans un espace ? » C’est la représentation de la transformation de son corps au moment où elle crée.
Ensuite le titre « tombe » du tableau comme un signifiant qu’elle déploie pour elle, équivoquant entre ses deux langues, la maternelle et celle du pays d’adoption.
« Hommage à Buster Keaton » contient ensemble le contexte de la guerre de Sécession, la fiancée séquestrée dans un sac de lettres, la curiosité absolue pour l’étrange et le sauvetage par l’amoureux au péril de sa vie. Que voit cet œil de la bascule du réel ? Qu’est ce qui est montré de ce monde cul par-dessus tête ? Orange, bleu, violet, chair et drapé.
« Tout le monde est fou » a ouvert la série ; Corona y fait tout à la fois l’actrice, en utilisant la photographie comme un miroir, et la lectrice, pas de n’importe quel livre : Comment comprendre le Discours de la servitude volontaire (La Boétie) si on n’est pas dans un monde de fous ? Pas de normalité. Regard tourné vers l’extérieur, le personnage est bien solide sur ses jambes, accroupi pour observer le monde à la bonne hauteur.
« Amar » c’est amarillo, le jaune, coupé, qui devient Amour ; l’amarre laisse le bateau bouger mais tient l’équilibre pour ne pas tomber du tabouret. Le jaune violent du vêtement de la femme se découpe sur les fonds en glacis vieux rose du tableau, accentuant l’affirmation de son corps.
« Hommage à Rudyard Kipling » : devant un chatoiement de feuillages comme une étoffe, l’enfant sur le trône, tel Mowgli, devient sujet, choisit d’être humain. Il n’utilisera pas le feu pour tuer mais pour protéger.
« Rencontres » : dialogue intime entre deux femmes qui flottent sur de riches drapés où l’œil s’égare. Elles tiennent l’une par l’autre dans un espace situé nulle part sans orientation seulement ancré par la bande verte à gauche qui s’inverse avec le fond.
« Hommage à Claude Monet » : les Gitanes ; ailleurs et étrangeté dans un festival de couleurs ; toute leur richesse est là. Corona dit là la possibilité d’une pensée autre qui fait irruption dans un monde clos. Cherchez Monet.
« Hommage à Rossini » : Une femme attend et se laisse surprendre dans la pénombre, à peine éclairée par une bougie ; tout est en nuances, camaïeu de gris. C’est Rosina, elle a ôté son bâillon défait ses liens, elle est aussi solide que la console sur laquelle elle fait semblant de s’appuyer. Derrière elle un rideau voile le monde, hors-champs.
« Al sur » : retour en Grèce ; peint ailleurs, la toile peinte sur le mur garde la mémoire du mur de la maison, sa chaleur, son bruit. Les couleurs de la Grèce ; La Grèce de Corona, c’est l’histoire fondatrice d’Ariane séduite et abandonnée, la victoire de Dionysos sur Apollon/Thésée, du mouvement sur l’ordre. Elle tourne, elle bascule, elle rit, le rose des premières toiles de Corona est là, la Rose de Joyce. « La peinture me permet de faire autre chose de mon histoire »
« Al Norte » : il est arrivé à l’atelier, j’ai saisi son mouvement de bascule dans un instantané, j’ai saisi son rire, j’ai saisi sa force. Al Norte c’est le passage de la frontière, la victoire du désir sur le destin. Il est bien là !
« Il arrive que » : la contingence absolue d’une rencontre improbable absolument archaïque et résolument moderne. La douceur ineffable du regard d’une femme.
« Encore » : le vêtement de la femme à la fois la masque et la soutient entre flou et rigidité, métaphore de sa pensée. Le corps cassé reconstruit n’a qu’une aspiration : Peindre.
Du plus profond de son intimité et respectueuse de celle de ses personnages, Corona peint.
Les tableaux nous regardent.
« J’ai choisi les couleurs de mes lieux et la parole me fleurit »
FIXION (X, lettre qui indexe l’inconnu et aussi l’existence)
Stéphane Magnan