LE SENS DE LA MARCHE, Photographies de Michel Paradinas

Descriptif :

Nous sommes la multitude des usagers du rail. Nous sommes le flot croissant du trans- port ferroviaire. Et par ennui, lassitude ou par flemme, nous ne voyons là rien que de très banal. Aussi, nous envions parfois, comme le canard gras l’oie sauvage, ceux qui, à l’image de Michel Paradinas, pensent « voyage » quand nous disons « trajet ».

Son travail photographique mené tambour battant dans le train de tous les jours avec le téléphone de Monsieur Tout-le-monde, mêle caténaire et intertexte, vitesse et fulgurances ; évidence, surprises et clichés. Sur les lignes Niort-Paris, Paris-Arles et Paris-Strasbourg, ce photographe et tireur noir et blanc de grand talent nourri au lait des réalistes, élevé dans le culte du déclenchement parcimonieux et de l’instant décisif, se laisse aller derrière sa fenêtre à la frénésie photo- graphique qu’autorise l’Iphone, avec pour seuls guides le souci du cadrage et le sens de l’anticipation. Vient ensuite le temps du tri, du choix et de la combinaison, et l’établissement de correspondances, de perspectives ou de lignes de fuite.

Le résultat, sidérant, l’est tout autant pour la singularité des images que pour leur capacité à évoquer d’autres oeuvres et d’autres artistes. On songe au portrait croisé d’un paysage et d’une femme superposés sur une vitre de train par Kawabata dans Pays de neige, on songe au Narrateur de la Recherche en route pour Balbec, on songe aux trains qui partent ouvrant et fermant L’humeur vagabonde de Blondin, on songe à l’Amérique saisie par Fusco depuis le wagon transportant le corps de Kennedy, et on s’abandonne à la proposition de Michel Paradinas : « Considérer qu’une image est un mot, une séquence une phrase, et l’ensemble l’expression de sensations particulières. » Heureux qui comme lui n’a besoin pour cela que d’un téléphone mobile, d’un billet de train, et d’un fauteuil dans le sens de la marche.

SÉBASTIEN VAISSIÈRE