KATINKA LAMPE // Wannabe

KATINKA LAMPE // Wannabe

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Plus que des portraits, Katinka Lampe peint des visages, ceux d’enfants ou d’adolescents : des visages sans histoire qui sont des êtres de peinture surgissant de grands fonds colorés. De trois-quarts, de face, en buste, le regard droit ou dissimulé derrière la chevelure, les visages intriguent et veulent entrer en dialogue avec le spectateur. Ils expriment tous leur manière le même souhait avec une certaine fébrilité: ils veulent devenir autres. En anglais, on emploie le terme « wannabe » (l’argot pour « want to be ») : quand le « vouloir être » devient plus fort que n’importe quel état, comme une quête désespérée, dirigée vers un inatteignable. […]

Collecte, mise en scène et picturalité

Katinka Lampe collecte d’abord des images qui la frappent dans des magazines de mode ou dans la presse. Pour ses dernières peintures, elle a également travaillé partir d’images récupérées sur internet autour d’un phénomène de société américain extrêmement suggestif : les Child Beauty Pageants. Des petites filles apprêtées s’exhibent dans des concours de beauté, selon des rituels étrangement archaïques. Telles de petites poupées vivantes, elles n’ont pas d’autre quête que celle d’un glamour avant l’âge, vernies comme des faux ongles.
L’enfance pouponne disparaît derrière le maquillage, les faux-cils, le rouge lèvre trop rouge, les paillettes et les poses outrées. L’artiste travaille sur ce phénomène afin de se le réapproprier, en recréant d’abord les cadres d’une séance photographique avec de jeunes modèles. Dans une atmosphère très joyeuse, des enfants de son entourage se prêtent au jeu, s’amusent être des petites stars devant son objectif, « pour de faux », grand renfort de maquillage et d’accessoires. Cette première étape photographique peut faire penser au travail de Bettina Rheims : les images obtenues appartiennent une zone étrange, entre esthétique glamour et construction iconique. Comme pour un shooting, Katinka donne des directions de mise en scène, mais elle a bien conscience de ce qui la sépare des séances codifiées des plateaux de mode. Le modèle regarde par-dessus son épaule, sourit, séduit, met les mains sur les hanches, sait capter l’attention de l’appareil.

Ce n’est qu’après la séance photo que l’artiste choisit l’image qui sera le point de départ de sa peinture, photo dont elle se dessaisit d’ailleurs très vite, celle-ci ne lui servant que de support mental, vite imprégné dans la conscience. La photographie, en tant que « réalité intermédiaire », permet le basculement vers la réalité de la peinture . La peinture prend le dessus. Les portraits qu’elle bâtit alors sur la toile ne sont pas des portraits individualisés ou psychologisés, mais plutôt des portraits mentaux, sans histoire personnelle, sans caractérisation. Il ne s’agit pas de faire le portrait d’une personne effective. « C’est pour cela que je travaille partir de modèles enfants ou adolescents, et non pas adultes : les adultes ont trop d’histoire derrière eux, alors que l’histoire des enfants est encore construire », explique l’artiste. Ainsi, ces portraits ne charrient « aucune vérité ». Paradoxalement, « les toiles ont l’air très réalistes, mais je rejette l’idée de réalisme: s’il y a une réalité chercher, c’est celle que chaque spectateur apporte par son regard », précise-t-elle.

Dès lors, face un grand portrait de jeune fille aux cheveux presque blancs, l’œil transperce la vision d’un visage spécifique pour se noyer dans la couche de peinture l’huile, disposée de manière très légère, toute en surface, sans brillance. L’œil s’approche et voit les coups de pinceau en traînées verticales, des zones de flou qui font penser aux portraits de Gerhard

Richter, la fluidité d’une touche en transparence, qui se diffuse dans la matière. Katinka refuse la virtuosité, le bien peint, et s’engage même parfois dans un processus de destruction de la forme aux contours trop précis et linéaires. « Je travaille dans une zone dangereuse : je ne suis pas une portraitiste, même si je ne fais que des portraits », explique l’artiste qui se détourne donc de toute potentialité de ressemblance ou de véracité : c’est la quête de la picturalité du visage qui compte avant tout, comme surface de fantasmes, vecteur émotionnel et expressif. On peut évoquer John Currin et l’inquiétante étrangeté de ses portraits la limite de la caricature ou de la difformité, dans un entre-deux entre fascination et malaise ; ou encore les performances de Vanessa Beecroft, dans lesquelles les particularités disparaissent dans le flot d’un canon identique. Mais, chez Katinka Lampe, hors de tout contexte, les silhouettes se détachent sur des fonds colorés unis et parfaitement propres, qui les propulsent au premier plan, l’instar d’une jeune fille l’épaisse chevelure blonde, la peau diaphane, exposée sur un fond rouge orangé particulièrement profond, aimantant, magnétique.

Mascarade et devenir autre

Lors des séances avec ses modèles, Katinka Lampe travaille partir d’accessoires : masques, perruques, déguisements, boas (…) qu’elle chine dans des boutiques de farces et attrapes. Mais les masques — la différence d’une Cindy Sherman dont la mascarade est un moyen de transfiguration carnavalesque — sont l pour révéler et non pour cacher : comme une seconde peau, ils se fondent sur le visage et lui donnent un contour nouveau. Un jeune enfant baisse le visage, les paupières mi-closes, se recueille dans son masque transparent. Dans la série Pose (2007), l’artiste plaçait un masque de peinture noire sur des peaux blanches, manière de dénoncer les facéties de l’apparence, la folie de celles et ceux qui désirent devenirdifférents, victimes d’un monde où la chirurgie esthétique est un possible parmi d’autres.

Dans l’atelier, un peu l’écart, on découvre de petites toiles, des fragments de corps dévoilant des chaussures talons et de frêles chevilles : ce sont peut-être les chaussures de l’artiste, comme on a rêvé les vieilles bottes fatiguées de Vincent Van Gogh… Mais l , ce sont des talons hauts, comme en portent les vraies séductrices. A y regarder de près, on découvre qu’elles sont bien trop grandes pour les petits pieds qui les portent : « il y a l un processus innocent des petites filles qui veulent devenir de vraies femmes, qui sont la recherche de leur identité féminine et finissent par se déguiser en ce qu’elles deviendront un jour. Elles se disent : un jour je serai grande, un jour je serai belle, un jour je…». En 2012, l’artiste a d’ailleurs intitulé une série : I willbebiggerthan Kate Moss and Naomi Campbell ; ou encore, fait dire des portraits avides d’approbation : Do you like me now ?

Devenir autre. Acquérir un nouveau visage. Tout portrait obéit un phénomène de transfiguration, de mise en forme d’un inaccessible, d’une force inconnue qui se cache derrière les traits de ce que l’on nomme communément la figure. C’est bien pour cela que Katinka Lampe est portraitiste, mais au sens le plus noble du terme. S’inspirant de Frans Hals — son compatriote du Siècle d’or, peintre des chairs épaisses et légère la fois —elle libère son geste et donne une jeunesse éternelle des êtres en devenir.

Léa Bismuth, juin 2013

Léa Bismuth est critique d’art (membre de l’AICA) et commissaire d’exposition indépendante (dont récemment l’exposition Bruissements la galerie Isabelle Gounod / Nouvelles Vagues du Palais de Tokyo, Juin 2013). Elle écrit régulièrement dans artpress.

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