Haven Her Body Was

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La galerie Les filles du calvaire est heureuse de présenter la première exposition personnelle la galerie de Noémie Goudal, jeune photographe française, lauréate du Prix HSBC pour la Photographie en 2013.

The Geometrical Determination of the Sunrise

Si le travail de Noémie Goudal apparaît entrées multiples, c’est qu’il entretient lui-même avec la réalité des rapports ambigus qui se révèlent être l’essence même de son univers. Car c’est bien d’un univers dont on peut parler dans son cas. Il va de sa sélection de sites pour ses prises de vue l’installation de ses images de grand format dans des lieux inusuels.

Bon nombre de ses photographies donnent voir des constructions énigmatiques, des ruines modernes dont le béton semble être le matériau privilégié, celui d’une civilisation sèche et sans âme dont les utopies se noient dans on ne sait quel lac. C’est la nature qui reprend le dessus, on y reviendra. En travaillant sur ce type d’archéologie du XXe siècle, ses rêves de grandeur ou de conquêtes vision totalitaire ou industrielle, Noémie Goudal s’inscrit dans une lignée d’artistes d’une même génération, tels Geert Goiris ou Guillaume Lemarchal (1) plus proches de la photographie ou encore Cyprien Gaillard qui, comme elle, utilise plusieurs médias. Eux aussi, travers leurs images implacables, s’interrogent sur les vestiges et les égarements de certains aspects de notre civilisation telle qu’elle s’est développée au XXe siècle. Pour Noémie Goudal, la série Haven Her Body Was évoque un monde en perdition, un monde qui se reconstruit autrement. Elle s’interroge sur la fragilité et la force de la nature et la relation qu’elle entretient avec les hommes : les ruines ont été un point de départ; ensuite c’est la nature qui reprend le dessus sur les constructions humaines. Ainsi celles-ci ont pu être détruites par des éléments violents naturels, comme des tempêtes ou la puissance de la mer.

Cette série d’images forte connotation architecturale pourrait se suffire elle-même et s’étendre de façon autarcique, dans une sorte de monumentalité abstraite, n’existant que par le regard de la photographe, cet instant où le réel rejoint la fiction. Petit petit cependant, Noémie Goudal fait glisser ces éléments de ruines modernes vers des apparitions végétales tout aussi singulières, émergeant elles aussi de la surface aquatique. Les unes comme les autres peuvent être perçues comme des observatoires dominant un paysage et le structurant tels des promontoires. S’il va de soi que ce terme d’observatoire induit la notion de point de vue, la photographe s’en empare d’une façon toute personnelle, en remettant au goût du jour la pratique de la photographie stéréoscopique. « J’ai construit des stéréoscopes avec des images que j’ai composées moi-même en numérique et non pas avec un appareil photo stéréoscopique habituel. Donc l’effet 3D n’apparaît que sur une seule partie de l’image ». Superposer les images, en fragmenter les points de vue, élaborer de nouvelles perspectives figurent au centre des préoccupations de Noémie Goudal.

Sa première série, Les Amants, constitue une sorte de métaphore de ces rapports conflictuels entre la nature et l’homme, où le territoire de l’une est battu en brèche par l’autre. Au début de ce travail, Noémie Goudal s’imaginait un territoire désolé, où les hommes sont venus, puis sont partis, laissant derrière eux des vestiges de leur histoire. Pour elle, la nature ainsi que ces vestiges y construiraient ensemble un nouveau paysage.

Les prémisses du travail étant ainsi posées, la photographe s’est intéressée ces lieux qui constituent des éléments atypiques du paysage, comme des îles et des grottes. Elles sont, tant dans l’histoire que dans les légendes, empreintes d’une certaine dramaturgie, ou du moins propices des reconstructions ou des mises en scène particulières. En tous temps, ces paysages reclus et isolés ont attiré les hommes, tant par intérêt pour la découverte de territoires inconnus et mystérieux que par les sentiments de protection ou de refuge qu’ils induisent. Noémie Goudal ne dit rien d’autre lorsqu’en invoquant ces lieux qui l’intéressent elle aussi, elle les qualifie d’hétérotopies, crées entre une réalité géographique et une part de l’imagination humaine.

Le pendant de ces espaces naturels relativement difficiles d’accès est constitué de lieux industriels désaffectés et abandonnés, où l’on retrouve cette ambiance de sites en fin de vie. Elle ne se contente pas de les photographier comme s’il fallait en sauvegarder la mémoire, mais se les réapproprie comme “décor”. Elle y installe en effet ses propres photographies de lieux similaires, agrandis l’échelle du lieu investi, pour interférer avec ceux-ci et créer un nouvel imaginaire : « dans la construction de mes photos, je m’intéresse la création d’une nouvelle perspective dans le cadre de l’image, en floutant les frontières entre le réel et la fiction, le vrai et l’inventé. Je me suis demandé comment il était possible d’entrer dans la perspective d’une image en offrant un paysage mi-réel, mi-artificiel ».

Il est donc nouveau question de superpositions de plans et de fragmentations d’espaces pour créer de nouvelles perceptions, en jouant sur les perspectives du lieu d’accueil (grottes, usines désaffectées, navires échoués, granges abandonnées) et des traces laissées par son histoire. Des sites sans perspective au départ se voient ainsi prolongés et transformés en un autre décor naturel ou industriel, grâce cette superposition d’images. Il n’y a cependant pas de confusion possible entre l’enveloppe et son contenu, car les images “importées” sont elles–mêmes composées de fragments (on y revient) d’une même image décomposée et imprimée sur des papiers suspendus dans le nouvel espace, le squattant en quelque sorte.

Ces espaces sortis de nulle part ne sont cependant pas accessibles au public, la perspective et l’adéquation de la mise en scène ne pouvant se percevoir que d’un point de vue unique et intangible, celui que se réserve la photographe. Les lieux investis par Noémie Goudal se transforment en support de ses installations visuelles, qui, paradoxalement, en les occultant révèlent leur existence. L’artiste ne se contente pas de bousculer les perspectives de ses images, elle perturbe également les espaces qu’elle investit dont elle modifie la perception pour en élaborer un nouveau territoire.

(1) Guillaume Lemarchal fut lauréat du Prix HSBC en 2008, avec son travail sur Les paysages de l’après

Bernard Marcelis

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