François Pinault, Damien Hirst, David Bowie, Frederic Mitterrand, Jeff Koons, Vladimir Poutine s’invitent au chateau de La Mothe
- Du 24/07/2010 au 17/09/2010
- Localisation : Chateau de La Mothe
Née Paris en 1966, Luna a étudié l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris et de Toulouse. Elle s’essaie d’abord la sculpture et la peinture, avant de commencer explorer d’autres médias : le son, la photographie, la vidéo, forgeant peu peu sa démarche artistique.
Elle offre ainsi un travail très personnel axé autour d’une réflexion sur le statut et l’autonomie de l’image en même temps que sur la situation de l’auteur contemporain, posant ainsi la question de la dépersonnification de la création. A partir de travaux d’installations, de vidéos, de photographies au caractère quasi pictural, comme la série de portraits qu’elle présente aujourd’hui, elle opère une déconstruction des images et des codes, notamment par le détournement et la réappropriation. Dans une posture de mise distance et parfois de dérision, le travail de Luna s’inscrit de manière très contemporaine dans une réflexion critique sur les conventions, les représentations, les postures sociales, les modes d’identifications postulés ou avérés, les mythes collectifs et les aliénations. Si certaines de ses œuvres peuvent se rapprocher d’un geste actionniste – comme lorsqu’en 2005, elle montre un sexe féminin tatoué d’un code barre sur fond rose bonbon – son travail peut aussi incliner parfois vers une forme de situationnisme, dans cette manière de favoriser l’irruption poétique dans les situations ou les activités les plus banales : dans la série « Gate 21 », elle se représentait, quelque part dans l’espace neutre et banal d’un aéroport, dans des situations d’attente indéterminée. Attitude subtilement engagée en ce sens, dans sa manière de s’emparer, de transformer, de triturer certaines images pour en perturber radicalement la compréhension. En Dordogne, au Château de La Mothe, qui vient d’ouvrir ses portes comme lieu d’art contemporain, Luna présente une série de 10 portraits de personnalités du monde de l’art, du spectacle, de la politique, en grands formats, produits par le lieu pour l’exposition. Pour Luna, le traitement formel de l’image revêt une importance particulière, qu’elle considère comme indissociable de son approche signifiante. Ce travail de l’image numérique impose une transversalité entre art, sciences, et mathématique, ressuscitant d’une certaine manière, et cela n’est pas neutre dans sa démarche, l’esprit humaniste et renaissant. Au travers de l’utilisation des nouvelles technologies, et en particulier les possibilités de l’image numérique – qui interrogent les notions de statut d’auteur et d’image, mais aussi les genres artistiques- elle réinjecte une dimension créative l’image, dans un travail de réappropriation picturale, de traitement ou de remodélisation de l’image. Les visages des portraiturés subissent une sorte de défiguration numérique : sous le cadrage serré, marques et traits sont lissés, floutés, les formes semblent se déliter, les couleurs, artificielles et comme diluées, se détachant sur le fond monochrome couleur vive, l’accroche au réel se réduisant au regard, distinguant in fine l’homme réel de l’icône. En se réappropriant des images photographiques issues de l’Internet, souvent exploitées des buts commerciaux ou idéologiques, Luna produit des images-peintures qui, évidemment, ne sont pas sans évoquer Warhol et le Pop. Pourtant, il serait bien réducteur de circonscrire le travail de Luna un énième avatar de cette culture Pop qui n’en finit pas d’être la notre, dans cette déliquescence du Pop au profit d’un néo-Pop entièrement voué la trivialité des mass media, la reproduction en masse des procédés, ces produits dérivés devenus « brutalement impersonnels » comme le prédisait Warhol, singeant la reproduction-dispersion massive de l’esthétique warholienne jusqu’ saturation, dissolution dans la béance de sens. Pulvérisé, le fameux quart d’heure de célébrité warholien. Le monde contemporain n’a jamais été aussi fasciné et avide, jusqu’au vertige et l’écœurement, de starisation, de glamour préfabriqué, de « peoplisation ». La société de divertissement est son climax, produisant un brouillage des genres, des hommes politiques traités comme des people, des acteurs musculeux devenus sénateurs, des artistes la tête de multinationales… Alors, Damien Hirst ou François Pinault, Jeff Koons ou Frédéric Mitterrand, Vladimir Poutine ou Karl Lagerfeld, BHL ou Jean-Jacques Aillagon, qui sont-ils et pourquoi eux ? Sont-ils quelques unes des véritables icônes pop d’aujourd’hui ? Un administrateur de Monument Historique, un philosophe médiatique et millionnaire sont-ils plus glamour que ne le furent Elisabeth Taylor, Marilyn, Mick Jagger ou Michael Jackson l’époque de La Factory, du Studio 54 et d’Interview ? Ce que veut pointer Luna ici, c’est que sans doute, l’entertainement n’est jamais qu’une partie du spectacle, ce spectacle dont la « religion » est, on le sait depuis Guy Debord, « la marchandise ». Si l’ensemble des portraits de Luna devaient, comme le disait Warhol de ses œuvres, former « un portrait de la société », que verrions-nous ? Les nouvelles icônes d’un monde marchandisé, l’évidente collusion de l’art et de l’économie, de l’économie et du politique, de l’art et du politique… Les hommes publics choisis par Luna n’incarnent pas proprement parler le glamour, la manière dont elle les portraiture n’est pas si flatteuse, bien que non plus caricaturale. Et le traitement de leur image la sauce pop est moins un choix esthétique que de l’ironie, avec leur joli fond acidulé… Il semblerait alors plus justement que Luna prend ce mouvement rebours, jusqu’ revenir aux sources de son cynisme, comme un sorte d’anté-pop salvateur et lucide. Marie Deparis-Yafil Paris- Juin 2010