FRANCESCA DI BONITO

FRANCESCA DI BONITO

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MELKART GALLERY présente Francesca DI BONITO
Du 27 OCT au 10 NOV 2016

Texte de Xavier Malbreil

Les photographies de Francesca Di Bonito possèdent un pouvoir de séduction évident.
Elles ont cette capacité de happer le regard au premier abord, que l’on pourrait expliquer par la surprise, cette faculté de montrer une image jamais encore vue, d’une beauté ou d’une laideur inédites. Aussi, ces photographies sont-elles sous-tendues par un discours très fort, très présent,
qu’il appartienne au champ de la politique, de la sociologie ou bien à celui de la fantasmagorie.
Cette tension créée par un champ narratif invisible n’est-elle certainement pas indifférente à l’attrait exercé par ces images. Mais tout cela ne suffirait pas à expliquer l’attirance immédiate que nous pouvons avoir pour ces photographies, alors que nous pouvons voir quantité d’autres images possédant ces mêmes qualités, séparément ou conjointement. Il y a donc quelque chose en plus de tout cela, quelque chose qui n’a rien à voir avec la qualité technique, avec la surprise et l’originalité, ou avec la trame narrative et idéologique. Une chose qui doit retenir notre attention, parce qu’elle est au centre des enjeux de la photographie, et des métamorphoses que les technologies contemporaines, numériques notamment, lui ont imprimé.
Dans toutes ses séries, Francesca Di Bonito propose ce passage entre le réalisme et la fiction, lequel passage n’est jamais à sens unique, mais, au contraire, s’organise comme un jeu: il faut partir du réel pour montrer l’imaginaire, et mettre en scène l’imaginaire pour mieux revenir au réel. Si l’on posait qu’il s’agit du premier point d’équilibre auquel Francesca Di Bonito veut amener ses images, cela pourrait nous servir à en comprendre le pouvoir d’attraction. Pourquoi nous les trouvons étranges, dérangeantes, voire captivantes, pourquoi nous sentons tout de suite qu’elles tiennent un discours très construit, quand bien même ce discours relèverait de l’énigme, cela tiendrait peut-être à ce savant aller-retour entre le réalisme, la convention, le genre, d’une part, et l’imaginaire, l’exception, la transgression, d’autre part.
Ce que ces œuvres nous révèlent, c’est au fond que notre regard est aussi organisé ainsi : dans quelque chose que nous voyons, nous plaçons entre les photons de lumière qui atteignent notre œil puis notre cerveau autant de discours qu’il y a de pages dans l’Encyclopédia Universalis.
Toutes nos lectures, et elles incluent les mystères et le charme d’écrivains comme Gérard de Nerval, Marcel Proust, Italo Calvino, Philippe K Dick, sont dans notre regard. Nous voyons à travers les milliers de pages que nous avons lues, les millions d’images que nous avons regardées. C’est ce que nous disent les oeuvres de Francesca Di Bonito. Notre regard n’est jamais innocent, jamais « pur », mais au contraire nourri, gorgé de références, qui vont des photos de grand reportage de Robert Capa, aux œuvres de Joel Peter Witkin. Admettre que nous mettons dans notre regard autant de Capa que de Witkin, c’est finalement ce à quoi nous poussent les images de Di Bonito.
C’est peut-être le secret de cette « beauté convulsive », selon l’expression d’André Breton, que nous reconnaissons d’emblée aux travaux de cette plasticienne.

L’autre réponse au mystère du pouvoir d’attraction des images de Francesca, tient à un autre jeu sur les limites, entre image fixe et image animée. Sortie Fauve est évidemment le cas le plus abouti d’une série de photos qui pourraient être issues d’un film. Mais ce n’est pas le seul.
Si nous reconnaissons immédiatement dans les séries de Francesca Di Bonito quelque chose de très contemporain, c’est aussi, certainement, parce que nous sommes habitués aux métamorphoses de la photographie, depuis une vingtaine d’années, sous le coup des technologies numériques, qui ont accompagné la pénétration des images dans nos vies, jusqu’à créer ce que Yves Michaud désigne sous le concept de « l’art à l’état gazeux ». L’image est omniprésente, et l’image est polymorphe, intrusive, insistante. Comme dans les romans de Philippe K Dick, elle s’insinue jusque dans le moindre recoin de nos vies privées, parce qu’elle est déclenchée par un capteur qui nous voit. Cette image qui est fixe un moment devient film le moment d’après, parce qu’il n’y a plus de limite entre image fixe et image animée, grâce ou à cause des technologies numériques.
Cette dissémination de l’image dans le corps social, sur toutes sortes d’écrans, les séries de Francesca Di Bonito en portent la trace. Elles sont fixes, mais on les dirait animées. Elles ne se soucient plus, à vrai dire, de cette différence. La qualité que nous percevons dans les œuvres photographiques et plasticiennes de Francesca Di Bonito, comme dans toute œuvre d’art achevée, ne peut s’expliquer totalement. Aucun regard ne l’épuise. Il faut toutefois compter avec ces deux points d’équilibre présents dans son travail, ces deux limites avec lesquelles elle joue. Entre la photo composée comme une scène et la photo réaliste, celle de l’instant décisif, les glissements sont inévitables, ils constituent l’histoire de notre regard. Entre l’image fixe et l’image animée, notre perception ne choisit plus, parce que nous vivons dans le flux des images, qui jamais ne s’arrêtent, et c’est ce que nous reconnaissons, inconsciemment, en voyant les oeuvres de Francesca.
Son travail nous révèle un état contemporain du monde des images, qui s’ignore, le plus souvent, mais dont un révélateur nous permet de mesurer les métamorphoses.

Xavier Malbreil est écrivain et critique d’art. Il se partage entre l’enseignement de Narratologie (Master de Création Numérique, Université de Toulouse II), l’écriture et la programmation d’expositions. Il écrit tour à tour de la fiction, des écrits théoriques et critiques, notamment sur la littérature et l’art numériques, ainsi que de la critique d’art. Il collabore à diverses revues comme Docks, La voix du regard, Formules, RiLUne.

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