FRAGMENTS

Avec : Katrien De Blauwer, Noémie Goudal, Claudia Huidobro, Anni Leppälä, Benjamin Mouly, Pablo Jomaron & Quentin Leroy, Catherine Poncin, Esther Teichmann
Commissariat: Christine Ollier

De prime abord, la photographie détermine une composition singularisant une petite parcelle de réel. Il en résulte une image suggestive, une réalité recomposée, à percevoir selon les limites du cadrage. Dans certaines pratiques artistiques la dialectique entre sujet, cadre et hors champ, est accentuée par l’association de fragments de diverses origines pour former un collage. Le découpage qui singularise et la fragmentation des images qui « implose » le sujet, sont autant d’éléments participant à la mise en œuvre visuelle d’un décalage perceptif et d’une démultiplication des niveaux de lecture.

Cette pratique fragmentaire a été explorée par les avant-gardes. Rappelons brièvement ici : les recherches innovantes du Bauhaus et de De Stijl, les expérimentations graphiques des mouvements soviétiques et tchèques, les tracts iconoclastes des dadaïstes et bien sur les collages surréalistes, sans omettre le magistral Merztbau de Kurt Schwitters. Elle a été, et l’est toujours, pratiquée activement dans la conception graphique et les supports de communication. Le rapport entre le texte et l’image s’est renforcé et a permis le développement, en parallèle à une conception publicitaire, du message politique pouvant servir aussi bien un art de propagande qu’à l’expression des mouvements antigouvernementaux. On peut citer parmi nombre d’auteurs, l’art contestataire du grand John Heartfield.

Sur la scène de l’art contemporain aussi les techniques du collage et de manipulation d’images ont perduré dans les années soixante. Le Pop Art a illustré allégrement les symboles de notre société de consommation grâce à ce procédé. Des artistes importants s’en sont servis et certains l’ont même enraciné au sein même de leur art, tels les américains Rauschenberg ou Barbara Kruger dont les œuvres peuvent être analysées sous cet angle. Plus récemment, on a su redécouvrir les collages de Martha Rosler qui télescope société de consommation et guerre du Vietnam à partir d’images de presse.

Si pendant quelques décennies cette pratique semble avoir disparue des cimaises, à l’heure du numérique et ses nombreux logiciels, la manipulation d’images est redevenue monnaie courante. Parallèlement les techniques plus traditionnelles resurgissent dans certains travaux photographiques. A la faveur d’expérimentations émergent ainsi des langages axés sur l’exploration photographique, tant d’un point de vue formel que conceptuel. La perception est une préoccupation essentielle chez tout artiste qui fabrique des images. Elle peut devenir le socle de recherches qui visent à ouvrir le champ perceptif.

Pour cette exposition nous avons choisi des artistes qui croisent les diverses potentialités du collage.

L’association d’images permet ainsi d’ériger un nouveau rapport à l’histoire, autorisant une transposition de celle-ci au service d’une nouvelle écriture plastique. On retrouve ce principe dans le travail de Catherine Poncin dont la méthodologie de l’image par l’image participe du collage par des compositions en strates de fragments visuels de différentes provenances, qu’il s’agisse d’images trouvées ou d’archives. Cette artiste leur insuffle une nouvelle vie en les mariant littéralement avec ces propres photographies. Ces dernières peuvent être des éléments de réel ou des reproductions macro de tel ou tel détail d’un document ou d’une œuvre qu’elle redimensionne. L’explosion du grain, le jeu des lumières et des couleurs très contrastées, viennent nourrir la puissance visuelle et parachever l’ensemble. Le narratif resurgit, il est multiple car si l’artiste s’est forgé sa propre histoire par cette réappropriation, elle livre au regard un récit visuel ouvert à des lectures individuelles.

Les compositions subtiles de Katrien de Blauwer, réalisées à partir d’images de magazines, sont empreintes d’une atmosphère cinématographique. Elles échappent toutefois à une narration dictée qui se révéle plutôt par le hors champ, les parties manquantes remplacées par des plages de noir ou de couleur. La radicalité minimale de la composition renforce la puissance formelle, quelque peu surprenante en regard de la modestie des formats et de la restriction du nombre des parties utilisées. Cette artiste est une observatrice, une analyste attentive des éléments qui fondent une photographie tant dans son sujet, la captation que celle-ci opère d’un morceau de réel par le cadrage, que dans l’espace même de l’image et des différents plans et chromatiques qui la composent.

Claudia Huidobro n’hésite pas, elle aussi, à couper en tranches des corps de femmes pour former de surprenantes compositions où les morceaux de chair sont reliés par des fils dont le rythme renvoie à une partition musicale surréaliste. Avec les œuvres présentées, l’artiste use de différentes chromatiques : sépia, noir et blanc, couleurs saturée ou lavées renforçant la tonalité chair des corps. L’ironie sur les diverses temporalités de l’iconographie du féminin n’en est que plus évidente. Du coup l’ensemble porte en lui une relecture critique de la perception sexuelle et consumériste du corps féminin. Pour autant l’œuvre est sensuelle et rend hommage à la femme et à sa liberté d’être.

Chez Esther Teichmann, le corps et la sensualité sont omniprésents, même quand ils sont évoqués à travers un coquillage ou une algue, plutôt qu’à travers de superbes nus. Le collage prend différentes formes dans son travail. Monumental quand elle associe ses photographies encadrés avec d’autres qui lui servent de décors. L’ensemble devient alors un théâtre, une scène où se développe un somptueux onirisme nourri par la magnificence du traitement pictural des supports photographiques.

Son rapport formel au romantisme est encore plus frappant dans ses montages de taille classique dans lesquelles elle rassemble photographies et reproductions des modèles picturaux historiques. Dans ce travail, le réalisme et le narratif sont supplantés par la formes des corps, les matières et les couleurs. Ils transfigurent les scènes au profit d’une rêverie baroque qui n’est pas sans rappeler les fantaisies des orientalistes et leurs aspirations à un ailleurs idéal.

On retrouve cette préoccupation romantique dans l’approche littéraire d’Anni Leppälä. Sa culture finlandaise insuffle à ses photographies et à ses livres une atmosphère tchekhovienne. La subtilité des lumières et la beauté nostalgique des modèles renforcent ce sentiment. Fréquemment, les images se concentrent sur des fragments de réel anodins auxquels l’artiste confère une beauté formelle renouvelée. La suggestivité discursive, déjà présente dans l’accrochage de ses petits formats assemblés tels des murs narratifs, s’amplifie dans ces dernières créations. En effet, ses compositions incorporent directement la surface murale en réunissant les images par des aplats monochromes ou par l’agrandissement de l’une d’elles servant ainsi de support-décor aux autres. L’ensemble, qui se lit comme une composition globale, préserve cependant l’unicité de chaque photographie.

Le jeune français, Benjamin Mouly explore quant à lui, les modalités d’exposition en associant des images fragmentaires qu’il sort littéralement du cadre et qu’il transpose dans un nouvel espace qui renvoie autant à l’image même qu’à son hors champ. A cette recherche conceptuelle ce plasticien-photographe associe une exploration de la matière photographique tant par l’explosion des grains que la saturation des contrastes lumineux et des recadrages radicaux. La sensibilité qui en résulte confère à ce travail une élégance formelle. Celle-ci renforce également la suggestion narrative des ensembles composés à la faveur du dispositif mural de chaque exposition.

Noémie Goudal nous surprend et réinvente la perception du réel en créant des compositions architecturales rêvées qu’elle réimplante dans un décor naturel. Ces tours monumentales formées de divers éléments architecturaux ne sont pas sans évoquer le symbolisme de Ledoux. L’hallucination mathématique est consolidée par ces fragments d’images encollés sur une structure bidimensionnelle pour être finalement photographiée et replacée dans une perspective tridimensionnelle. L’espace est ainsi contrarié et notre œil habitué aux critères perceptif de la caméra obscura subtilement égaré.

Les discrets collages réalisés avec des superpositions d’encre et de morceaux d’images du jeune Pablo Jomaron sont issus d’une pratique éditoriale qui détériore l’image par la photocopie ou la ronéotypie pour n’en laisser que la trace. Sa collaboration éditoriale avec Quentin Leroy et Thomas Brun sous le label RED LEBANESE donne lieu à une production prolifique de fanzines qui laissent une large place à l’usage du collage. Leur installation commune vient à la fois conclure et ouvrir l’exposition à toute la diversité éditoriale contemporaine qui se nourrit de la fragmentation d’images. Leur pratique livresque renvoie également aux artistes de l’exposition qui témoignent eux aussi d’un travail éditorial que l’on peut apercevoir dans la librairie de la galerie le temps de cette exposition.

Publication à l’occasion de l’exposition par Red Lebanese

Christine Ollier

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