Benjamin LEVESQUE - Armance

Benjamin LEVESQUE – Armance

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Du bout des doigts

Un soleil d’hiver frappe les volets clos. Sa lumière impétueuse traverse les persiennes, esquisse de chancelants halos, envahissant d’une brume légère d’anciennes chambres d’enfants, la mémoire bavarde, l’imagination fertile. Livres et objets, oubliés dans la course de la vie, trésors protégés dans leurs écrins complices, invitent, dans leur silence pudique, d’incertains voyages, de grandioses évasions, de mystérieuses épopées.

Ici le temps a baissé sa garde. L’instant est immobile, ténu comme un soupir, puissant comme un monde.

Dans ces chambres avec vues, Benjamin Lévesque a conquis son espace. Son atelier est devenu l’escale de ses périples, le repaire de ses explorations, le tremplin de ses nouveaux départs que peuplent d’obscures clartés, de diaphanes figures, des matières veloutées et de rugueuses profondeurs. Souvenirs réels, lus ou inventés s’épousent dans un concert intime. La couleur y a écrit sa partition. Elle inonde le parquet, le tapissant d’une palette pugnace et se répand sans bruit. Elle se glisse sous les ongles du peintre ; les tatoue d’un lapis-lazulis profond, dense, intrusif. Des particules d’or redessinent le bout de ses doigts, éternisent leur empreinte.

Dans le tumulte silencieux et solitaire de son atelier, Benjamin Lévesque garde sur sa personne les traces d’une nouvelle traversée, comme parfois s’imprime en soi une insistante mélodie. A l’instar de ses murs, couverts de notes, saisies sur le vif, la toile, écran tactile d’un sentiment et d’une sensation, devient le miroir d’océans, de paysages intérieurs et de musiques romanesques qu’une lecture lente, constante, assidue nourrit et fixe dans l’espace chahuté de motifs allusifs et d’épaisseurs voluptueuses. Ses glacis vont creuser, dissoudre ou révéler une profondeur, une forme saillante, une silhouette, comme le fantôme d’un rêve qui ne voudrait pas s’en aller.

Armance est l . La chambre est son territoire tout comme celui du peintre, attentif son désir trop grand, l’affût de ses confidences et de son destin. Patiemment, tel un copiste appliqué du Moyen Âge, Benjamin Lévesque suit le fil du récit de Stendhal. L’encre de sa plume noircit, phrase après phrase, de courtes bandes de papier de soie disposées en chevron, rappelant un parquet l’anglaise, craquant, fragile et luisant. Marouflées sur la toile, elles en recomposent l’histoire comme la trame d’un tissu, la lisse d’une tapisserie. Elles sont la grille de sa lecture. L’anecdote, l’intrigue et les personnages se sont enfuis, ne laissant sur la toile que les figures, leur sentiment et l’espace de la narration.

« Ecrire tous les jours, génie ou pas » clamait Stendhal. Le peintre s’emploie son œuvre avec l’humilité minutieuse, l’inlassable et tranquille détermination de l’artiste qui de la chambre, près du lit, au chevet bienveillant d’une présence diffuse invente un monde si vrai qu’il existe sans doute.

Désormais, l’ingénue Armance de Zohiloff et le secret d’Octave de Malivert seront leur propre paysage et leur espace, résolument clos, une expérience alchimique. Cette exploration n’est pas nouvelle dans l’œuvre de Benjamin Lévesque. La même intention, la même intuition l’anime lorsqu’il poursuit les gravures des Caprices de Goya, ou cherche dans Vanino Vanini ou Fabrice del Dongo – autres héros stendhaliens – la figure du fifre de Manet.

« Je ne vois la vérité de ces choses qu’en les écrivant… » confiait Stendhal dans son autobiographique Vie de Henry Brulard. Ses sensations ont pris langue.

Le peintre leur apporte ses couleurs, son geste, ses propres traces et ses apparitions. Il touche, comme celui qui écrit, ce fragile infini, intérieur et profond, du bout de ses doigts.

Christophe Averty

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