le-monde-est-bien-assez-triste-comme-ca

Jean-Pierre PETIT

Le monde est bien assez triste comme ça

La longue colonne serpentait devant l’édifice
de verre armé. Tous attendaient la révélation
promise par les élus et leur porte-parole.
La nuit tombait, et l’objet transparent,
translucide existait par le simple jeu des murs
de lumière. Mais que croire, qu’attendre
de cette étrange procession puisque rien
n’apparaissait et seuls les vigiles laissaient
comprendre l’importance du lieu.
Plus l’édifice approchait, plus le vide de son
contenu s’imposait. Un vide impressionnant
qu’il était interdit de photographier.
Venait l’entrée, canalisée, orchestrée vers de
nouvelles processions, de nouveaux rituels.
Un long voyage s’annonçait sur les écrans
partout présents. Les caméras de surveillance
traquaient le moindre signe de subversion
comportementale. Tous étaient suspects,
la moindre déviance, le plus petit écart
seraient immédiatement sanctionnés.
La foule hypnotisée, en communion médiatique,
répétait les phrases rituelles de la messe du 20 h.
Au moment d’introduire sa carte magnétique
et de composer son code, certains flanchaient
et après deux essais incorrects étaient conduits
en zone de tolérance zéro. Puis le long cortège
de ceux qui avaient le bon comportement,
le bon code, s’égrenait vers les tunnels de
publicité. Là, le temps ne comptait plus,
les messages se suivaient en séquences bien
cadencées et répétaient à l’infini les désirs
programmés et contrôlés par les sages
du conseil supérieur du visuel économique.
Parfois le tunnel s’interrompait pour faire
place a un message sans marque, ce qui
rendait anxieux les abonnés. Mais
heureusement, le tunnel familier s’imposait
à nouveau et l’on pouvait tranquillement
engranger les désirs obligatoires dans une
douce inconscience. Après ce parcours culturel
obligatoire, les yeux remplis de bonheur visuel,
une salle de la mondiale des jeux permettait
à tous, démocratiquement, sans attendre,
de parier sur l’espérance engrengée.
Certains des gagnants auraient le bonheur
d’être directement présentés en real tv. Depuis
ce terrible attentat visuel où, rappelons-le, près
de deux heures d’images sans commentaire,
sans retouche, sans objectif de vente, avaient
été diffusées à une heure de grande écoute,
l’atmosphère était très tendu. Tous les services
de sécurité étaient en alerte maximum,
tous les esprits devaient être fouillés,
les déplacements virtuels contrôlés.
Les adolescents étaient les plus suspects,
certains d’entre eux doutaient et on en voyait
même qui refusaient de porter leurs logos
favoris obligatoires. Après la zone de pari,
enfin la ville centre commercial, où tous les
jeux, toutes les enseignes, tous les désirs
commerciaux s’enchaînaient à l’infini sur
un boulevard se perdant à l’horizon et faisant
le tour de la terre. Son crédit épuisé, il fallait
se résoudre à prendre un tunnel de sortie
en n’oubliant pas d’avaler le ticket
anti-dépresseur qui seul permettait
d’absorber le choc du retour à la zone
d’exclusion travail.

  • Prix indicatif : 2.100 euros
  • Technique : Encre de Chine et acrylique sur toile
  • Sujet : la grande mélodie de l'univers
  • Discipline :
  • Support et matériaux : Toile sur châssis bois
  • Année de création : 2017
  • Dimensions : 162 x 130 cm
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